Le Contexte post-électoral au Cameroun : Entre tensions politiques, crise sécuritaire et fracture sociale
Le Contexte post-électoral au Cameroun : Entre tensions politiques, crise sécuritaire et fracture sociale
Whego Kenmegne Larissa
L’élection présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun a donné lieu à la réélection de Paul Biya, au pouvoir depuis 36 ans, et à une reconfiguration de l’opposition camerounaise. Malgré un score de 71% des voix, ce dernier débute son septième mandat dans un contexte politique et sécuritaire volatile. D’une part, son principal challenger Maurice Kamto clame toujours sa victoire, ce qui ravive des fractures sociales et ethniques préexistantes. D’autre part, le pays fait toujours face à Boko Haram dans l’Extrême-Nord et le conflit dans les régions anglophones s’intensifie. Mais l’élection a aussi été marquée par un regain d’intérêt des jeunes pour la chose politique, en témoigne l’arrivée en troisième position du candidat le plus jeune, Cabral Libii, âgé de 38 ans.
Ces nouvelles tendances et fractures peuvent-elles reconfigurer durablement la scène politique camerounaise ?
Au terme du contentieux électoral, les requêtes en annulation (partielle et totale) du scrutin portées par les partis d’opposition ont été rejetées par le Conseil Constitutionnel. L’opposition camerounaise a souligné de nombreuses irrégularités, ainsi que des « fraudes massives ». Le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) rejette toujours les résultats du scrutin et son président Maurice Kamto s’est autoproclamé vainqueur. Il a ensuite lancé un « plan national de résistance au hold-up électoral », prévoyant, entre autres : une prestation de serment, des marches de protestation, des recours judiciaires et des villes mortes. Mais excepté au sein de la diaspora où des manifestations importantes ont eu lieu, à l’intérieur du pays le « plan national de résistance » a été peu suivi et à peine une centaine de personnes ont participé à des manifestations à Yaoundé, Douala et Bafoussam.
Toutefois, la véritable prouesse de Maurice Kamto est d’avoir acquis le statut de leader de l’opposition. En effet, le MRC bouscule lors de ces élections le Social Democratic Front, affaibli par la perte de son électorat majoritairement concentré dans les régions anglophones du Nord-Ouest et Sud-Ouest. La situation sécuritaire délétère dans les bastions anglophones du SDF lui a significativement causé préjudice, car les habitants sous la menace des séparatistes ne sont pas allés voter. Les taux de participation sont de 5 pour cent au Nord-Ouest et 16 pour cent au Sud-Ouest, mais en réalité pourraient être encore plus bas.
Les préoccupations sécuritaires sont au cœur des enjeux du nouveau septennat. La plupart des observateurs insistent sur la nécessité de créer les conditions d’une résolution pacifique de la crise anglophone par l’organisation d’un dialogue national et l’amélioration des instruments de gouvernance au niveau local. La libération mi-décembre de près de 289 détenus en lien avec la crise anglophone est un premier pas favorable pour aller dans la désescalade. S’agissant de l’Extrême-Nord, l’approche actuelle du tout-sécuritaire n’est pas durable. Le gouvernement devrait envisager la mise en œuvre de politiques inclusives visant à réduire les vulnérabilités socioéconomiques et éducatives des populations locales. Le gouvernement devrait aussi entamer la démobilisation d’une partie des comités de vigilance et faciliter le désengagement d’ex combattants de Boko Haram qui souhaitent se rendre. Il a déjà pris certaines mesures comme la création le 30 novembre 2018, d’un Comité National de Désarmement, de Démobilisation et de Réintégration des ex combattants de Boko Haram et des groupes sécessionnistes. Mais ces mesures devraient s’inscrire dans une réponse politique cohérente à apporter à ces deux conflits.
Ces deux actes politiques majeurs démontrent que la pacification des territoires est un enjeu important de légitimation du pouvoir politique, dans un contexte où les aspirations populaires pour la démocratie, le renouvellement de la classe politique et l’instauration d’un dialogue national sont de plus en plus marquées. Or, l’instrumentalisation de l’ethnicité par les acteurs politiques demeure un frein majeur à la paix et à la cohésion sociale au Cameroun. Dans un tel contexte, la détribalisation des institutions de gouvernance, la redistribution équitable des ressources et l’instauration d’un véritable pluralisme politique sont autant de facteurs pouvant limiter le développement d’antagonismes communautaires tel que cela a été observé au cours de la phase post-électorale.